Une longue construction juridique sanctionnée en droit français par la loi de 1979 distingue archives publiques et archives privées en fonction de critères propres à la production des archives. Dans une perspective d'histoire sociale et culturelle, les chercheurs ont souligné la porosité des frontières entre le public et le privé, le caractère mouvant de la constitution des dépôts d'archives et le flou de ce qui doit ou non être archivé. Ils ont aussi montré que les institutions royales, à l'époque moderne, ont porté un intérêt divers aux archives « personnelles » de leurs agents, qu'il s'agisse de papiers politiques, policiers, diplomatiques ou scientifiques. Ces questions ont principalement été abordées d'un point de vue administratif et a posteriori : l'attention a ainsi été centrée non sur la production, mais sur la collecte des archives (droit de reprise, saisies, confiscations révolutionnaires). Je voudrais pour ma part tenter d'observer les logiques de la production d'archives – c'est-à-dire de la création, de la réception et de la conservation des documents – au moment où elle est « en train de se faire ». À la lumière des propositions de l'anthropologie historique des pratiques savantes, je m'intéresserai donc aux lieux, aux acteurs, au matériel d'écriture, aux temps d'activité pour mettre en évidence l'existence d'unités de production d'archives qui sont des éléments majeurs de notre compréhension des fonds. Je tâcherai de mieux saisir, en m'appuyant surtout sur sa comptabilité domestique, comment Chrétien Guillaume de Lamoignon de Malesherbes (1721-1794), qui a occupé les fonctions de premier président de la Cour des aides, de directeur de la Librairie, puis de secrétaire d'État de la Maison du roi et de ministre sans portefeuille, produit ses archives personnelles à la jointure du public et du privé.